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L’alimentation est un sujet passionnant qui permet aussi de faire des rencontres surprenantes !
La preuve ci-dessous avec l’interview de l’artiste « 1011 » !
Il y a quelques temps, j’ai reçu un message de la part d’une lectrice, Laurence, qui m’interrogeais sur la provenance d’une image qui illustre un de mes articles. Cette image est une photographie de barquettes de viande vendues en Russie. Cette photo me permettait d’illustrer notre hypocrisie de consommateurs face à la consommation d’animaux morts (en effet, on cherche à cacher la mort le plus possible)…
Laurence m’expliquait alors être une artiste-plasticienne reproduisant au crayons de couleur des barquettes de viande du monde entier. Intrigué par cette démarche et trouvant le sujet des barquettes de viande plutôt étrange pour des œuvres d’art 😉 , j’interrogeais alors Laurence sur les raisons de ce projet et elle accepta volontiers de répondre à mes questions.
En allant visiter son site web, j’ai découvert aussi d’autres travaux portant sur l’alimentation et le rapport de notre société de consommation avec la nature. Comme ces travaux sont très surprenants et bousculent nos à priori, je trouvais intéressant d’en présenter ici une partie, avec les explications de Laurence…
« Bonjour Laurence,
nous nous sommes rencontrés par le biais d’Internet, puisque j’ai découvert votre travail en lisant votre commentaire sur mon article 10 enseignements sur la consommation de viande que j’ai compris en travaillant dans un abattoir.
Vous êtes plasticienne (connue sous le nom 1011) et vous menez notamment un travail qui porte sur les emballages alimentaires et plus précisément sur les barquettes de viande. En effet, vous reproduisez au crayons de couleur, les barquettes de viande du monde entier, ce qui est pour le moins surprenant !
Comme je suis d’un naturel curieux et que votre démarche sort plutôt de l’ordinaire, je vous ai demandé de répondre à quelques questions, afin d’expliquer votre démarche et la raison de cette série de dessin intitulée Pouvoir d’achat.
Quel est le sens de ces dessins et quel est le message que vous souhaitez nous faire passer ?
Pour moi, le marketing de ces emballages est choquant. C’est étrange de trouver sous ces étiquettes colorées et souriantes, des petits morceaux de viande brillants et bien rangés.
Le traitement est réaliste, « photographique », ce qui brouille notre perception de votre message… Ça pousse à nous interroger : réalisez-vous ces œuvres dans un but documentaire ou ironique ? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi cette technique du crayon de couleur et ce traitement réaliste ?
La technique est effectivement réaliste car je ne souhaite pas que l’on puisse imaginer qu’il y ait la moindre interprétation personnelle. Il s’agit bien de vraies barquettes de viande provenant de différents pays.
L’ironie réside ici dans le contraste entre le visuel, le slogan publicitaire et le contenu. On nous vante les mérites d’un « Veau élevé sous la mère », d’un « Agneau élevé en plein air », d’un « Sourire de nos campagnes »…
Vous parlez du cynisme des communicants de l’agroalimentaire et du contraste entre les slogans utilisés et la réalité du produit qu’ils vendent. Qu’est ce qui vous choque le plus dans le commerce de la viande ?
La viande est coupée de façon à ne pas reconnaître l’animal. De plus, les morceaux de viande sont nommés différemment des parties du corps de l’animal (bavette pour le flanc et gigot, jambon pour la cuisse).
A force de dessiner ces barquettes, j’ai fini par y voir de petits cercueils…
Êtes-vous végétarienne ou vegan ? Est-ce que votre travail s’inscrit dans ce cadre ?
Je vais vous répondre un peu plus largement. Je suis née à la campagne dans une famille simple sans beaucoup de moyens économiques. Mon père cultivait un grand potager et verger. Il élevait des poules pour les œufs. Ma mère, excellente cuisinière, nous faisait des plats succulents avec les magnifiques produits du jardin : légumes, fruits… Je suis restée attachée à cette cuisine, celle de mon enfance. Je réalise le maximum de ce que nous mangeons en famille. L’agroalimentaire est pour moi une forme d’ennemi synonyme d’une alimentation irresponsable : produits transformés qui sont saturés d’agents coagulants, colorants, émulsifiants, épaississants… De plus, réaliser soit même sa cuisine coûte infiniment moins cher que d’acheter des produits transformés.
Personnellement, je cuisine beaucoup de légumes et j’ai une passion pour le blé noir, et le poisson, culture bretonne oblige !
En regardant la série complète et en voyant défiler toutes ces images de barquettes de viande on est frappé par l’uniformité des modes de consommation entre les différents pays. Cette profusion que vous reproduisez n’est-elle pas finalement la critique de la mondialisation ?
Oui, sans aucun doute ! Quand un consommateur achète 500 gr de viande hachée dans la grande distribution, il a en réalité dans sa barquette la viande de centaines d’animaux différents provenant d’une dizaine de pays européens ! Ce mélange est même nommé le « minerai de viande » ! Une aberration écologique et surtout un vrai questionnement moral.
Vous avez aussi réalisé un travail en 2016 sur les poissons séchés. Pouvez-vous nous expliquer quel était alors la démarche et le sens de ce travail artistique ?
Cette série s’intitule « Poison ». Elle est composée de sept photographies brodées et de poissons séchés.
Elle montre la responsabilité des entreprises les plus polluantes : entreprises pétrolifère, cimentiers et groupes métallurgiques ou miniers. On trouve là les multinationales qui gouvernent le monde.Pour symboliser cette pollution, j’ai créer des poissons mutants qui errent dans un air irrespirable. Au sol, une installation de poissons séchés renvoie à la réalité. Celle de la mort en nombre des poissons dans nos océans.
En ce moment, une nouvelle série débute. Pouvez-vous nous en parler ?
Cette série se nomme « Hommage à Magritte », c’est un clin d’œil direct à l’œuvre de René Magritte « Ceci n’est pas une pomme » de 1929. La légende diffère cependant. Sous l’image d’un fruit ou d’un légume, j’ai repris la liste exhaustive des produits phytosanitaires que contiennent les pommes, les fraises, les pommes de terre… :
» Ceci est du Abamectine , Acequinocyl , Clofentézine , Etoxazole… »
Pour moi, c’est une forme d’ironie quand le slogan du Ministère de la santé insiste en proclamant : « Manger 5 fruits et légumes par jour ! » Bon appétit…
Au fait, que signifie votre nom « 1011 » ?
Mon nom d’artiste « 1011 » est du langage binaire qui signifie « 11 » dans le système de numérotation décimale. Je le partage avec un philosophe qui de surcroît est mon mari. Nous travaillons de pairs : art et philosophie s’enrichissent mutuellement. Non pas deux individus, mais la recherche de la création unique au profit d’idées multiples. Voilà pourquoi un chiffre.
Merci beaucoup 1011 pour toutes ces précisions !
Le monde de l’art contemporain paraît souvent hermétique et il est rare de pouvoir échanger ainsi avec une artiste. Je vous remercie beaucoup pour avoir accepté cet échange et de m’avoir permis d’ouvrir mon regard en apportant une vision différente sur l’alimentation.
Félicitations pour votre travail et merci également à Internet de permettre des rencontres inattendues comme celle-là, haha ! 😀
1011
Pour en savoir plus et découvrir toutes les œuvres de 1011, je vous invite à vous rendre sur son site Internet https://1011-art.blogspot.com !
La série « Pouvoir d’achat », représentant des barquettes de viande, sera présentée début octobre à Avignon dans le cadre de l’évènement « Parcours de l’Ar »t. Pour ceux qui s’interrogent sur l’alimentation et qui sont amateurs d’art !
Pour découvrir la série aujourd’hui : https://1011-art.blogspot.com/p/dessein.html