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Cantines scolaires et restauration collective : peut-on manger des produits bons et de qualité à prix cassé ?
Dans un monde où tout doit être optimisé au maximum pour plus de rentabilité, les cantines scolaires souffrent d’un tiraillement perpétuel entre les attentes des enfants, des familles, des élus et les contraintes budgétaires. Pour obtenir le point de vue des professionnels sur la question, je me suis tourné vers Marie-Cécile Rollin, directrice du réseau Restau’Co.
Elle a très gentiment accepté de répondre à mes questions…
Bonjour Marie-Cécile, vous êtes directrice d’une structure un peu particulière, puisqu’il s’agit d’un réseau professionnel, Restau’Co. Votre réseau représente et accompagne tous les restaurants de collectivité, que ce soit ceux des entreprises et administrations, les cantines scolaires des écoles, hôpitaux, maisons de retraite etc.
Pouvez-vous nous décrire en quelques mots l’historique du réseau Restau’Co, ainsi que votre rôle à vous ?
Le réseau Restau’Co a été créé en 1966 par des directeurs et cuisiniers de toutes les formes de cuisines de collectivité dans l’objectif de partager leurs pratiques pour une restauration améliorant la qualité de vie des convives.
Des enjeux forts qui sont toujours d’actualité avec un réseau qui accompagne aujourd’hui la restauration collective vers une démarche plus responsable.
En tant que directrice du réseau, j’accompagne les élus de notre association à représenter ce secteur et je veille à ce que nous apportions les outils pour accompagner nos adhérents dans leur fonction de nourrir les enfants, étudiants, adultes, malades ou personnes âgées.
L’objectif principal est de permettre la gestion directe des repas par les cantines scolaires (gestion dans l’établissement) et d’éviter la gestion concédée (c’est-à-dire sous-traitée à une société externe).
Quels sont les avantages de la gestion directe pour les collectivités et pour les consommateurs ?
Notre objectif est que l’offre des cantines scolaires et de la restauration collective en général, quelque soit le mode de gestion, soit plus vertueuse à savoir meilleure pour le convive, plus respectueuse de la planète et partenaire de l’agriculture et des métiers de la production.
Nous représentons toutefois les établissements qui ont fait le choix de conserver la gestion de la restauration plutôt que de la concéder à un tiers.
Nous croyons en effet que la restauration collective est un service d’utilité publique et qu’ainsi la gestion directe est le modèle le plus adapté à cette mission.
Que signifie pour Restau’Co une restauration collective responsable et plus globalement, quel est l’avenir du secteur ?
Avec la démarche Mon Restau Responsable®, nous proposons aux établissements d’entrer dans une démarche de progrès pour des restaurants plus responsables.
C’est une garantie qui leur propose de s’engager sur 4 piliers :
- Le bien être des convives accueillis que ce soit leur satisfaction, la qualité nutritionnelle du repas ou les lieux et l’accompagnement du repas.
- L’assiette responsable, à savoir des approvisionnements de qualité (aliments bio, SIQO signes de qualité) et de plus grande proximité ainsi que la valorisation du fait maison.
- Les éco-gestes : diminution du gaspillage alimentaire, valorisation des biodéchets, la diminution de la consommation des énergies et l’utilisation de produits d’entretien respectueux de l’environnement.
- L’engagement de l’établissement sur son territoire par les emplois, le lien aux fournisseurs locaux ou son engagement auprès d’associations locales.
On a une image plutôt négative de la restauration collective et des cantines scolaires avec des plats de qualité médiocre, peu équilibrés et qui n’ont comme seuls objectifs que d’être peu coûteux.
Comment la filière perçoit-elle ce cliché et comment les professionnels cherchent-ils à améliorer les choses ?
L’image de la restauration collective si elle est encore peu élogieuse par rapport à la réalité, a tout de même beaucoup évolué. Les professionnels ont toutefois conscience du fossé qui existe entre cette image et ce qu’ils mettent en œuvre réellement dans leurs établissements.
Un cliché dont ils souffrent au regard de la passion et de l’implication dont ils font preuve pour prendre soin des convives qu’ils servent chaque jour.
C’est pour cette raison que la démarche Mon Restau Responsable® associe les convives et élus locaux qui, au moment d’une séance participative, découvrent le fonctionnement de l’établissement et valident les engagements que ce dernier aura pris. Consommateurs, acteurs locaux et professionnels de la restauration collective sont alors co-porteurs des progrès engagés par le restaurant.
Par ailleurs nous organisons des concours de cuisine pour faire connaitre la réalité de ces métiers au grand public.
J’ai dédié un numéro de L’Essentiel de l’alimentation positive à l’alimentation des enfants, qui sont de grands usagers de la restauration collective et des cantines scolaires.
Or, la qualité des cantines est très variable. Certaines écoles ont des chefs qui cuisinent chaque jour à la demande et qui sont au contact des enfants, d’autres font sous-traiter la totalité des plateaux-repas…
Entre ces deux extrêmes il y a une multitude de cas et quand on est parents, on a un peu l’impression d’une loterie : si on a de la chance notre enfant se nourrit correctement, sinon notre enfant laisse plus de la moitié dans son assiette, ou ne mange que ce qu’il y a de moins sain et se gave de pain.
D’ailleurs le fait que les menus soient confectionnés par des nutritionnistes n’est même plus gage de qualité et d’équilibre. On est donc un peu perdu dans tout ça et ça inquiète, car les cantines sont l’un des principaux acteurs de l’éducation alimentaire des enfants.
Comment peut-on faire face à ces défis et permettre à tous les enfants en France de manger bon et bien ?
La loi encadre depuis plusieurs années la qualité nutritionnelle des repas servis dans les restaurants scolaires. Cette loi a été demandée par notre association au nom des professionnels de la restauration collective pour assurer ce pré-requis essentiel : proposer quelque soit l’établissement, des repas sains et équilibrés.
Néanmoins, proposer un repas équilibré ne sert à rien si celui-ci n’est pas consommé.
C’est pour cela que depuis 3 ans, un véritable élan parcourt le secteur pour limiter le gaspillage alimentaire et s’assurer que les repas soient consommés.
La chasse au gaspillage passe par la remise en question des modes de cuisson des produits, l’achat de produits de meilleure qualité mais aussi un meilleur accompagnement du repas au moment du service.
Restau’co accompagne 200 établissements depuis 3 ans et avec ces simples astuces nous diminuons de 50% le gaspillage alimentaire.
Mon conseil pour les parents : demandez à l’élu en charge de la restauration de votre ville (pour les écoles) ou département (pour les collèges) de s’inscrire dans la démarche Mon restau responsable®, démarche gratuite ouverte à tous : www.mon-restau-responsable.org.
Le coût d’un repas dans les cantines scolaires est incroyablement bas (en moyenne autour de 3€). Si on enlève la marge nécessaire aux professionnels pour vivre, les taxes, les coûts de structure, le nettoyage, l’électricité, etc., il ne doit pas rester grand chose pour l’achat des matières premières…
Comment proposer entrée, plat et dessert avec presque rien ? Cela doit-être un vrai casse-tête…
Le prix du repas est différent d’une ville à l’autre. Le coût réel d’un repas en restauration scolaire dépasse 10 euros. Heureusement il est subventionné par la collectivité.
En moyenne, les produits alimentaires achetés pour confectionner le repas, coûtent 2 euros. Une somme restreinte mais qui peut permettre d’acheter des produits de qualité grâce au savoir-faire des acheteurs, aux volumes et à la transformation des produits en cuisine.
Les cantines scolaires ne pourraient-elles pas supprimer les desserts sucrés ?
Proposer uniquement une pomme ou un yaourt nature sans sucre afin de redistribuer les sommes économisées sur les autres plats ?
Cela apporterait peut-être une meilleure marge de manœuvre pour l’entrée et le plat, tout en veillant de manière plus efficace à la santé de nos enfants ?
Je pense que le repas à la cantine doit aussi rester un moment de convivialité et de plaisir et ces deux notions passent souvent par le dessert.
Dans leurs menus, les cantines doivent déjà proposer un nombre minimum de fruits et de laitages non sucrés, c’est le sens de la loi sur la qualité nutritionnelle des repas. La place des biscuits, glaces ou gâteaux est donc déjà très limitée.
Enfin, certaines cuisines proposent des desserts fait maison ou des produits de fabrications artisanales ou venant des PME Locales.
De la même manière, de nombreuses études scientifiques ont démontré les bienfaits du végétarisme sur l’organisme. Or, les cantines scolaires font une énorme consommation de viande et de protéines animales (notamment les produits laitiers). Pourquoi ne parvient-on pas à systématiser au moins un repas sur deux végétariens avec plus de légumineuses ?
La loi alimentation qui a été votée récemment demande aux cantines scolaires de diversifier les apports en protéine avec une ouverture vers les protéines végétales.
C’est une ouverture très intéressante mais qui nécessite d’être accompagnée.
Nous attirons la vigilance des professionnels quant à certains produits à base de protéines végétales avec des compositions nutritionnelles médiocres.
Nous manquons pour le moment d’indicateurs sur la bonne composition du repas végétarien surtout sur une population d’enfants ; des études sont en cours, nous y participons.
Par ailleurs les cuisiniers des collectivité doivent apprendre à maitriser ce nouvel équilibre des menus, ces nouvelles recettes qui ont leur place dans les menus de façon, là aussi, équilibrée.
La restauration collective a aussi un rôle important auprès des filières d’élevage qui contribuent à la préservation des prairies en France en choisissant des modes de production vertueux.
Finalement, le principal problème ne vient-il pas de la taille des cantines scolaires ?
Il serait simpliste de croire que petite cantine égale qualité et de les opposer aux grosses structures. C’est plus complexe que cela.
Le regroupement des restaurants scolaires a permis de professionnaliser la restauration collective : disposer d’une diététicienne, d’acheteurs formés à l’achat alimentaire, former les cuisiniers…
Néanmoins la cuisine centrale et la livraison du repas en liaison froide, a des inconvénients : certains mode de production ne sont plus permis, cela coupe les cuisiniers des enfants et des familles, et la qualité du repas peut être détériorée par une mauvaise remise en température.
Il nous semble que l’amélioration du repas dans les cantines scolaires passe par la professionnalisation et la valorisation du personnel dans les restaurants satellites.
Par exemple, permettre certaines préparations dans les restaurants pour valoriser le plat livré par la cuisine centrale. C’est en ce sens que nous avons créé le concours Elles ont du Talent, qui valorise les personnels féminins de restauration et pose la question de leur formation.
Merci beaucoup Marie-Cécile pour le temps que vous avez consacré à ces questions, d’avoir accepté cette interview et pour votre engagement au sein de Restau’Co. J’espère que cela fera des émules !
Si le sujet des enfants vous intéresse, je vous encourage vivement à lire mon article Ce que mange un enfant en une semaine et à découvrir les magnifiques photographies que je présente. 🙂
Cette interview a été initialement publiée dans le numéro 5 du magazine L’Essentiel de l’alimentation positive, entièrement dédié à l’alimentation des enfants.
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