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Éducation alimentaire — Maria Retamales a créé en 2017 l’association Swiss Food Academy basée à Genève en Suisse. Cette association organise des ateliers ludiques en lien avec les écoles, les associations de quartier et les collectivités locales pour sensibiliser les enfants aux enjeux actuels de l’alimentation, leurs habitudes alimentaires et les impacts sur leur organisme.
Comme vous le savez, j’édite un magazine papier mensuel consacré à l’alimentation équilibrée : L’Essentiel de l’alimentation positive.
De temps en temps, j’aime bien consacrer un numéro entier à une thématique précise.
Le numéro 5 était de ceux-là puisqu’il était dédié à l’alimentation des enfants. En plus d’analyser les repas à la cantine, de donner des idées recettes ou d’analyser l’impact de la malbouffe et du sucre sur la mémoire et le développement cérébral des enfants, j’ai interviewé différents professionnels, à l’image de Nathalie Mertens, nutritionniste pour enfants, ou de Marie-Cécile Rollin, directrice d’un réseau professionnel de cantines scolaires.
Maria Retamales de Swiss Food Academy faisait justement partie des experts sollicités.
À travers quelques questions, elle donne son point de vue sur l’alimentation des enfants et évoque les enjeux de l’éducation alimentaire. Voici l’intégralité de l’interview qu’elle a donné pour L’Essentiel de l’alimentation positive.
Bonjour Maria, pouvez-vous en quelques mots nous expliquer votre parcours et la genèse de votre association : Swiss Food Academy ?
Experte dans le secteur du e-tourisme, j’ai décidé en 2016 d’entamer des recherches sur le secteur alimentaire en Suisse ainsi que sur toutes les mesures existantes en matière d’éducation alimentaire.
Pourquoi ? Parce que j’avais une envie simple : œuvrer pour une meilleure alimentation et démocratiser son accès à tous. Ces recherches m’ont permis de comprendre dans quel monde je vis et de donner plus de clarté à ce qui se dit actuellement. Beaucoup d’informations planent au-dessus de nos têtes, mais il y a trop peu d’actions concrètes de sensibilisation.
Je suis comme un enfant : si on ne m’explique pas les choses avec interactivité et par le jeu, je ne m’intéresse pas à ce qu’on me dit.
Le projet a également germé inconsciemment à la naissance de mon fils, aujourd’hui adolescent. J’ai souhaité dès sa plus tendre enfance qu’à contrario de moi, il soit acteur de son alimentation et s’intéresse à ce qu’il mange. Et c’est de là que m’est venue l’idée de créer ces ateliers autour de l’alimentation.
J’ai testé cette idée auprès des mamans de mon entourage et des camarades de classes de mon fils. Sur un coup de tête, je suis allée pitcher au Good Festival à Lausanne en avril 2017, où j’ai reçu une médaille d’or et c’est ainsi qu’est né Swiss Food Academy, en novembre de cette même année.
Swiss Food Academy réunit des experts de différents horizons (ingénieurs agronomes, chefs, diététiciens…) pour responsabiliser les enfants par le jeu et leur donner la possibilité de comprendre l’alimentation, de la graine à l’assiette. Ce sont les consommateurs de demain, les enjeux sont donc énormes.
Mais les enfants s’en rendent-ils compte ?
Sont-ils demandeurs et en attente de connaissances sur le sujet ?
Vous seriez étonnés de savoir que les enfants ont bien compris que l’alimentation fait partie intégrante de leur vie à partir du moment où vous échangez avec eux sur le sujet.
En effet, nous savons tous que notre société a connu des mutations importantes : industrialisation, mécanisation et désormais digitalisation.
La notion de plaisir et d’échange autour de l’alimentation sont en perte de vitesse. Il est donc essentiel de mettre l’enfant au centre de valeurs telles que le partage, l’échange et le plaisir.
Nous avons pris le pari de véhiculer ces valeurs au sein de nos ateliers et ce par le jeu. Le résultat est concluant puisque les enfants reviennent mois après mois et nos activités deviennent aussi naturelles et attrayantes que de faire du sport ou de la musique ; ils sont également force de propositions et leur curiosité en matière d’alimentation ne cesse de grandir.
Comment les ateliers d’éducation alimentaire de Swiss Food Academy sont-ils organisés ?
Notre objectif n’est pas de dire aux enfants d’aujourd’hui que manger trop gras ou trop sucré est mauvais pour eux, mais plutôt de développer leur sens de l’analyse afin qu’ils arrivent à cette conclusion eux-mêmes.
Chaque atelier commence par une réflexion guidée par les animateurs. Il se poursuit ensuite au travers d’activités ou de jeux à réaliser seul ou en équipe. Le plus important étant d’éveiller la curiosité des enfants en mêlant ludique et action concrète sous forme de challenge :
- L’atelier P’tits chefs : ateliers autour de la sensibilisation à l’éducation alimentaire, saisonnalité, recettes, apprendre à cuisiner
- P’tits jardiniers : découverte du potager, initiation au jardinage
- Et les P’tits détectives : déchiffrer une étiquette alimentaire, comprendre la provenance des aliments, sensibiliser au gaspillage alimentaire, etc.
Nous décloisonnons le plus possible les âges des enfants afin de susciter chez eux de l’entraide et de l’empathie entre plus grands et plus petits.
Vous effectuez également un suivi pour prolonger l’expérience, ce qui vous permet de mesurer l’impact de votre démarche sur le rapport que les enfants entretiennent avec la nourriture.
Comment leur regard évolue-t-il ?
Effectivement, nous avons démarré nos ateliers avec une volonté d’en mesurer l’impact.
Nous avons mis en place des supports pédagogiques sous forme de quiz, de recettes ou méthodes de jardinage à reproduire à la maison ou ailleurs afin de garder un lien avec les enfants et les familles.
Étant donné que nous travaillons beaucoup sur la saisonnalité et le processus de la graine à l’assiette à chaque atelier, il est vrai que les enfants comprennent désormais qu’un fruit et un légume passent par l’éducation des sens et que tout achat alimentaire a une conséquence pour soi et la planète.
Autre exemple, ils prennent conscience atelier après atelier que des repas comme le petit-déjeuner ou le goûter peuvent se décliner de différentes façons et pas seulement sur le schéma classique : bol de céréales, lait et jus de fruits.
L’alimentation des enfants est avant-tout une aventure familiale. Les repas à la maison et les habitudes alimentaires des parents sont tout naturellement la base de la culture culinaire de l’enfant. La transmission est donc plutôt descendante (du parent à l’enfant).
Mais remarquez-vous un impact de vos ateliers sur ce schéma familial ?
Les enfants se mettent-ils à transmettre leurs connaissances auprès de leur parents et à se faire à leur tour le relais de la responsabilisation alimentaire ?
Effectivement, des parents ont signalé des changements de comportements quant au rapport que leurs enfants ont avec leurs assiettes.
Des enfants souhaitent réitérer les recettes apprises avec nos experts culinaires et nous recevons de plus en plus de clichés de leurs réalisations.
Enfin, les plus grands enfants (10-12 ans) sont en demande de créer et d’animer leurs propres ateliers pour transmettre aux plus jeunes.
Les premiers retours sont donc plus que positifs !
Plus nous leur donnons de missions, plus leur responsabilité est engagée. Et la prise de conscience surgit chez eux comme chez les parents.
Les repas à la cantine sont l’un des points de friction de l’éducation alimentaire des enfants et la Suisse ne fait pas exception, même si les problèmes ne sont pas tout à fait les mêmes qu’en France, au Luxembourg ou en Belgique.
Comment percevez-vous le rôle des cantines et intervenez-vous aussi sur ce secteur ?
Le rôle des cantines est essentiel puisque le nombre d’enfants inscrits ne cesse de croître, du fait que le monde du travail a évolué.
Pour certaines familles, le repas à la cantine représente le seul repas équilibré de la journée. L’État a donc une responsabilité majeure en matière de santé publique.
Pour ma part, j’interviens personnellement au sein des cantines scolaires genevoises. Chaque école agit différemment en matière de prise en charge des enfants pendant le temps du repas, chaque école a un prestataire de restauration et certaines ont le label Fourchette Verte, le label de l’alimentation équilibrée.
Encore une fois, il est important de remettre l’enfant au centre de son assiette. Et donc de l’impliquer un peu plus sur des thématiques comme le gaspillage, la saisonnalité et la reconnaissance des fruits et légumes. Selon moi, une action de sensibilisation plus active pourrait être mise en place au sein des cantines scolaires, avec un accompagnement des animateurs qui encadrent les enfants.
L’objectif de l’association Swiss Food Academy est la démocratisation de l’éducation alimentaire. Sur ce point précis on constate souvent que le niveau de vie des familles a un lien direct avec la qualité de l’alimentation. Et les enfants de familles défavorisées se nourrissent globalement moins bien.
Le fait de proposer des ateliers directement dans les écoles permet de toucher tous les publics, sans distinction de revenu, ce qui est une opportunité énorme.
Mais les écoles sont-elles suffisamment impliquées sur ce sujet ?
Ont-elles conscience du rôle majeur qu’elles peuvent jouer sur les questions d’inégalités alimentaires ?
Nous pensons qu’une assiette équilibrée est une assiette raisonnée.
Si nous évitions de trop consommer, je vous assure que nous ferions plus d’économies dans le portefeuille. Encore une fois, il s’agit de sensibiliser les personnes à ce qui est vraiment nécessaire pour le bien du foyer sans porter de jugement. Mais en démontrant par l’action qu’il est possible de consommer autrement, sainement et avec plaisir.
Et effectivement, comme je l’ai précisé auparavant, l’école à un rôle majeur en terme de santé publique puisque de plus en plus d’enfants développent des maladies liées à une mauvaise alimentation.
Il est intéressant de noter qu’un enfant sur cinq est en surpoids en Suisse et de constater que 60 000 enfants et adolescents sont atteints d’obésité et souffrent de complications médicales.
Est-ce vraiment dû aux inégalités ?
Peut être… Mais en novembre dernier, j’ai eu la chance d’assister à la conférence du Pr. Jourdan sur l’éducation et la santé et ce dernier a soulevé une problématique qui se pose dans plusieurs pays.
Comment penser le positionnement de la santé en milieu scolaire ?
Cela revient à dire que la prévention est nécessaire car les enjeux en matière de santé sont tellement grands chez l’enfant que l’école doit prendre des mesures en ce sens.
Merci beaucoup Maria pour cet échange et bravo pour votre projet et votre engagement avec Swiss Food Academy.
Je sais que l’association est courtisée en dehors de Genève. J’espère que vous aurez l’occasion de développer vos ateliers. Notamment en France et en Belgique, où la prise de conscience de l’importance de la transition alimentaire est de plus en plus forte !
Alors longue vie à Swiss Food Academy !
Cette interview a été initialement publiée dans le numéro 5 du magazine L’Essentiel de l’alimentation positive, entièrement dédié à l’alimentation des enfants.
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